Cet article a été co-écrit avec le Partenariat pour un Gouvernement Ouvert et l’ONG 3D.
Chaque année, les gouvernements dépensent des milliards de dollars, dans la commande publique de biens et services – s’ils ne mettent pas en avant le concept de redevabilité, beaucoup de ressources peuvent être perdues au gaspillage ou à la corruption. Aujourd’hui, plus que jamais, la transparence dans les marchés publics, plus précisément la commande publique ouverte (Open Contracting en Anglais), est nécessaire au Sénégal et dans le monde, au moment les gouvernements se mobilisent pour lutter contre la pandémie du Covid-19 et essaient de s’en remettre, tout en s’efforçant de venir en aide aux populations les plus vulnérables.
Le Commande Publique en période de crise
Comme partout ailleurs dans le monde, le gouvernement du Sénégal a répondu aux besoins sanitaires et économiques les plus urgents de ses citoyens en cette période particulière. Un nouveau décret1, pris le 18 mars 2020, permet au gouvernement d’utiliser une procédure simplifiée pour les approvisionnements dans le cadre la lutte contre le Covid-19.
Des journalistes ont signalé de prétendues irrégularités dans le plan de riposte du gouvernement sénégalais ainsi que dans l’attribution de marchés de fourniture et de transport de milliers de tonnes de produits alimentaires et d’hygiène destinés aux populations les plus vulnérables.2 Les organisations de la société civile (OSC) ont également tiré la sonnette d’alarme et plaidé pour plus de transparence et de redevabilité quant à ces allégations, comme l’ont fait de nombreux citoyens sur les réseaux sociaux3. Alors que le gouvernement du Sénégal et les entreprises citées dans l’affaire ont réfuté toute possibilité de fraude ou de collusion dans la gestion de ces processus d’approvisionnement, l’insinuation de la corruption a laissé en suspens certaines questions.
La Commande Publique Ouverte pourrait résoudre ces questions. En effet, de nombreux cas d’usage dans les marchés publics montrent qu’une approche ouverte de l’approvisionnement permet de mettre à la disposition des différents acteurs des informations claires sur la prise de décision, même lorsque les choix sont faits rapidement, dans des contextes particuliers tel que celui de la pandémie de Covid-19.
En outre, il existe des outils “open source” qui aident à identifier la présence potentielle de cas de corruption dans les procédures de passation des marchés publics, en mettant en évidence les activités d’approvisionnement qui impliquent des facteurs de risque et, en explorant les données préalablement converties au Standard de Données de la Commande Publique Ouverte (OCDS) .
Le Sénégal investit déjà dans la transparence des marchés publics et les données ouvertes
Le gouvernement du Sénégal a beaucoup investi dans la collecte de données et dans les pratiques d’approvisionnement ouvertes. La mise en œuvre d’une approche OCDS au Sénégal ne devrait donc pas être un problème majeur dans la mesure où le cadre institutionnel en fait état. De plus, le Sénégal est membre du Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (PGO) depuis 2018 et travaille actuellement à l’élaboration de son premier plan d’action dans ce cadre pour promouvoir la transparence, la redevabilité et la participation citoyenne dans la lutte contre la corruption. Le PGO encourage l’utilisation des nouvelles technologies pour renforcer la gouvernance, en partenariat avec la société civile et le secteur privé, offrant ainsi une opportunité de faire avancer les réformes à travers l’ouverture des données, en particulier dans les processus de passation des marchés publics.
Dans le même esprit, Development Gateway (DG) s’est associé à l’ONG 3D4 depuis 2018, d’une part pour évaluer l’écosystème des marchés publics au Sénégal et d’autre part, pour renforcer la compréhension des parties prenantes aux procédures de passation de marchés. L’objectif de ce partenariat est notamment de créer un dialogue, et des synergies, entre les acteurs publics et privés et, l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP) pour mieux répondre aux besoins en données sur les marchés publics. Un dialogue constructif et une culture plus solide d’utilisation des données entre les acteurs des marchés publics, aideront Le Sénégal à prendre des décisions plus rapides et plus efficaces, qui tiennent compte des besoins du gouvernement, des OSC, du secteur privé, et des citoyens.
Une opportunité pour plus d’ouverture
Avec la crise sanitaire qui prévaut, le Sénégal a
l’opportunité de mettre en place des mesures dynamiques pour créer des
processus de passation des marchés plus ouverts et plus redevables, qui
atténueraient toute impression persistante de corruption. En règle générale,
les informations d’une commande publique ouverte aident les citoyens, les
acteurs des secteurs public et privé et la société civile, à comprendre chaque
étape du processus de passation des marchés et ce jusqu’à leur
attribution. Plus précisément, une commande publique ouverte permet (i) aux
décideurs d’analyser les tendances des prix et la performance des fournisseurs
en termes de qualité et de délai afin de mieux guider l’attribution des
marchés; (ii) au secteur privé d’identifier les opportunités futures et de
mieux comprendre les dynamiques concurrentielles du marché national; et (iii)
aux autres parties prenantes (société civile, presse, gouvernement et
partenaires au développement) d’identifier et de combattre avec plus de
précision les possibilités de corruption dans les marchés publics.
Pour promouvoir son utilisation systématique, l’information
doit cependant respecter plusieurs critères préalables: une donnée doit être
fiable, exhaustive, à jour, et facile à comprendre et utile. Selon les gravaux
de DG et de l’ONG 3D, les données doivent également répondre aux besoins de
chaque acteur compte tenu de ses enjeux: le secteur privé s’intéresse aux
opportunités économiques; la société civile met l’accent sur le suivi du
processus de passation pour tenir redevable les décideurs; et les institutions
publiques cherchent à mesurer l’efficacité de leurs procédures tout en
réduisant les risques de fraude et de corruption qui nuisent à la participation
des PME-PMI.
Le gouvernement recueille une quantité importante de données sur les différentes étapes du processus d’approvisionnement, mais la plupart ne sont pas publiées. Bien que certaines données sur les marchés publics doivent légalement rester confidentielles, une approche plus analytique, basée sur des données de bonne qualité, serait un élément constitutif du processus décisionnel. Le gouvernement peut, par exemple, améliorer la qualité de la commande publique en nivelant le rapport qualité-prix, en oeuvrant pour plus d’équité et d’intégrité du marché. Si le gouvernement analyse, par exemple, les aspects clés du processus d’approvisionnement, tels que la durée moyenne de chaque phase, pour chaque mode de passation, la taille des marchés, les prix, la qualité des livrables/performances des contrats, la rentabilité, etc., il sera en mesure de minimiser un grand nombre de risques car les décisions d’attribution seront fondées sur des preuves.5 L
Les défis potentiels
Bien que Le Sénégal ait démontré un fort intérêt d’instaurer la commande publique ouverte, les résultats de l’enquête de référence, menée par l’ONG 3D et Development Gateway, auprès des petites et moyennes entreprises et industries (PME-PMI), de la presse, des organisations de la société civile et des autorités contractantes pour évaluer leur connaissance des marchés publics, ont révélé certains obstacles: la connaissance des marchés publics reste faible pour la plupart des acteurs interrogés, y compris les élus locaux et les parlementaires. Il demeure un écart de compréhension tangible entre les agents de l’ARMP et la Direction Centrale des Marchés Publics (DCMP) – qui maîtrisent parfaitement les fondamentaux des marchés publics, et les autres acteurs – qui n’ont pas les mêmes aptitudes. Ce gap, qui peut conduire à des interprétations erronées, à des interventions inappropriées et à des accusations infondées et a été adressé lors d’ateliers de renforcement des capacités sur les principes et procédures de passation des marchés publics pour des acteurs tels que les PME, les OSC et les parlementaires, afin de les sensibiliser aux fondements de la commande publique ouverte avant de recueillir leurs besoins respectifs en données plus accessibles sur les marchés publics pour guider leurs interventions.
Bien que l’ARMP ait pris des mesures pour populariser les procédures de passation des marchés publics en traduisant, par exemple, le code des marchés publics en wolof et en organisant des ateliers pour les médias et les OSC, de telles initiatives seraient d’autant plus efficaces si l’accent était mis la publication de données dans des formats transparents, compréhensibles, faciles d’accès.
Enfin, l’utilisation des données est une compétence en soi – que l’information soit publiée dans des tableaux, des rapports ou sur un site Web, tous les acteurs bénéficieraient d’une capacité accrue en analyse des données. Plus précisément, les données relatives au code des marchés publics et aux procédures y afférent, sont rarement référencées ou publiées dans un format facile à comprendre et qui encourage leur utilisation.
Appel à l’action
Dans une situation de crise, les concepts de transparence, de redevabilité et d’ouverture devraient faire l’objet de plus d’attention, alors que l’on peut s’attendre à ce que ceux-ci soient négligés lorsque tant d’autres priorités concurrentes apparaissent. Pour mettre en évidence et partager les initiatives de certains pays, OGP a lancé son initiative Open Response + Open Recovery. Cela peut être considéré comme une excellente ressource à la disposition des pays sur comment mettre en place des processus transparents et responsables en temps de crise.
Le Sénégal a jeté des bases solides dans la collecte de données sur les procédures d’approvisionnement et la commande publique ouverte. Pour devenir pleinement un exemple à succès, le Sénégal ne devrait pas s’éloigner des processus de passation de marchés ouverts déjà en place mais plutôt privilégier l’implication des citoyens, de l’administration publique, du secteur privé et des OSC – pour renforcer les capacités de publication et d’utilisation des données ouvertes. Le Sénégal peut utiliser le Covid-19 comme une opportunité pour créer une politique d’approvisionnement ouverte pérenne.
1. Le Président de la République a pris un décret qui stipule que les travaux, fournitures et services réalisés dans le cadre de la riposte contre le Covid-19 ne sont pas soumis aux dispositions du code des marchés publics.
2. https://www.seneweb.com/news/Societe/covid-19-un-autre-scandale-eclate-…; 3. https://www.seneweb.com/news/Societe/covid-19-un-autre-scandale-eclate-…;
4. L’ONG 3D est membre du Comité National du
Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (PGO) du Sénégal
5. Development Gateway, 2017, Etude exploratoire
sur la Commande Publique Ouverte, Senegal.